Serge Wassilieff , Médecin en chef, membre de l’AAOMIR et petit-fils de Serge Nicolaiévitch (promotion 1910-1913), nous transmet la copie du texte de l’éloge prononcé par l’Amiral Chatelle, le 17 février dernier à l’Académie de Marine, en mémoire du regretté Amiral Alexandre Serguéivitch Wassilieff.
Serge Wassilieff , Médecin en chef, membre de l’AAOMIR et petit-fils de Serge Nicolaiévitch (promotion 1910-1913), nous transmet la copie du texte de l’éloge prononcé par l’Amiral Chatelle, le 17 février dernier à l’Académie de Marine, en mémoire de son père l’Amiral Alexandre Serguéivitch Wassilieff.
Le 5 Août 1918, naissait à Odessa, en pleine tourmente révolutionnaire le futur amiral Wassilieff dont le souvenir nous réunit aujourd’hui pour l’hommage que l’Académie de marine rend traditionnellement à ceux qu’elle a accueillis dans ses rangs.
Sans avoir jamais servi directement sous ses ordres, sauf pendant une courte période en Indochine sur « L’Aubépine » qu’il commandait alors, j’ai eu le privilège de croiser son chemin à plusieurs reprises, et dans des circonstances les plus diverses tout au long de ma carrière. C’est pourquoi je me réjouis de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui de prononcer ici cet éloge et d’avoir à rappeler devant sa famille et tous mes confrères combien son destin fut original et même assez extraordinaire.
Lorsqu’il naquit, son existence n’était certes pas toute tracée, et nul n’aurait pu imaginer ni prédire le destin qui allait être le sien. Son père, Serge Wassilieff, capitaine de corvette dans la Marine Impériale russe, avait choisi en octobre 1919 de rejoindre l’armée du Général Wrangel qui s’était regroupée en Crimée pour lutter contre les forces bolcheviques, après avoir servi pendant quelque temps, avec le grade d’enseigne de vaisseau, dans l’escadre française de Méditerranée commandée par le vice-amiral Amet.
Sagement il avait décidé d’envoyer sa famille se réfugier à Constantinople où se trouvaient déjà de nombreuses familles de l’aristocratie et de la bourgeoisie russes chassées par la révolution. Il devait bientôt la rejoindre, blessé et malade, début 1920 devant l’évolution de la situation sur le front de Crimée.
Quelques années plus tard il choisit, ainsi que beaucoup de familles russes, condamnées à l’exil, très francophiles à l’époque, et parfaitement francophones, d’émigrer vers la France. C’est ainsi qu’en 1923 le jeune Alexandre débarque avec ses parents et sa Niania, sa « nounou » qui devait tenir une grande place dans son existence, à Marseille où l’un de ses aïeux avait été autrefois consul général, avant de rejoindre Nice terre d’asile d’une partie de la diaspora russe, où les accueille une aïeule qui y possédait une villa. Il avait alors cinq ans.
Une vie difficile commence, marquée par les absences d’un père qu’il admire profondément et qui, pour subsister, exerce diverses activités, tour à tour marin de commerce, peintre aquarelliste de talent, un talent qu’il exerçait à Vichy auprès des riches curistes de l’époque et qui le fit remarquer par un maharadja indien qui l’appellera auprès de lui pendant plusieurs années. Un père qui sans aucun doute lui transmet un peu de son tempérament d’artiste et, sans doute aussi, de sa fantaisie.
Très tôt en effet le jeune Alexandre, tandis qu’il poursuit ses études au Lycée des Oratoriens de Nice, va manifester un véritable engouement pour le théâtre, la musique et surtout l’Opéra. Et la famille gardera le souvenir d’une fugue que le jeune adolescent fit alors à Paris pour y rencontrer son idole, Sacha Guitry, autre exilé, avec qui il se liera d’amitié ; comme plus tard il se liera avec de nombreux artistes de l’époque, anciens condisciples de lycée ou personnalités rencontrés à Nice ou lors des séjours estivaux de sa famille à Vichy : Maurice Escande, Pierre Charron, Robert Manuel, Jean Piat, Georges Thill pour n’en citer que quelques uns, avec lesquels il entretiendra des relations suivies tout au long de sa vie..
Lui-même fera partie d’une troupe de théâtre amateur, sera critique littéraire. Doté d’une remarquable mémoire, il connaissait également par cœur de nombreuses scènes de théâtre et, longtemps plus tard, on le disait encore capable de réciter Cyrano de Bergerac du premier au dernier vers.
Le 19 juin 1934 survient l’évènement qui allait donner un sens nouveau à sa vie. Ses parents reçoivent leur acte de naturalisation qui entraine de facto la sienne ; il peut désormais choisir librement son avenir. Il a alors seize ans et c’est probablement à ce moment là qu’il va s’orienter vers la carrière qui sera la sienne, par goût personnel sans doute et par la fascination qu’avaient pu exercer sur lui pendant son enfance, les récits de l’ époque héroïque qu’avait connue son père - guerre russo-japonaise, patrouilles en mer Baltique et en mer Noire du début de la guerre contre l’Allemagne - peut-être aussi pour offrir une sorte de revanche à ce père admiré et aimé dont la Révolution avait prématurément interrompu une carrière qui s’annonçait brillante..
Ayant terminé ses études secondaires il vient à Toulon afin de préparer l’Ecole Navale. Il rejoindra Brest en septembre 1938, à un moment où l’avenir est déjà bien sombre.
La guerre ayant éclaté l’année suivante, ses camarades de promotion et lui-même voient leur seconde année d’études interrompue prématurément ; en février 1940, l’Enseigne de Vaisseau de deuxième classe Alexandre Wassilieff rejoint le croiseur « Algérie » avec lequel il va connaitre la monotonie des convois, avant de participer au bombardement de Gênes peu de temps après l’entrée en guerre de l’Italie.
En août 1940 il est désigné pour le Contre torpilleur « Chevalier Paul » qui sera torpillé par un avion anglais en Méditerranée orientale, au large des côtes de Syrie, dans la nuit du 15 au 16 mars 1941. Évènement qui, venant après l’opération Catapult en Angleterre, et surtout Mers-el-Kébir, ne manquera pas d’alimenter son animosité envers l’ex-allié anglais, animosité que partageaient alors nombre de marins français qui reprochaient à l’Angleterre de s’être opposée, entre les deux guerres, au renforcement de la Marine française face aux marines allemande et - suprême affront- italienne.
Sa belle conduite durant cette action sera remarquée et lui vaudra une citation, la première, à l’ordre du régiment avec attribution de la croix de guerre, ainsi rédigée « Jeune officier, enthousiaste et ardent, lors du torpillage de son bâtiment par un avion anglais, dans la nuit du 15 au 16 mars 1941, a fait preuve d’un courage et d’un allant dignes d’éloges, contribuant par son exemple au maintien de l’ordre et de la discipline. »
Après quelques mois à terre au Liban, promu Enseigne de vaisseau de 1ère classe le 15 juin 1941, il embarque en octobre de la même année sur le croiseur « FOCH » à bord duquel il restera jusqu’au sabordage.
Placé alors en congé d’armistice il est affecté au Bataillon de défense passive du Var.
C’est pendant cette période qu’en mars 1943 il épouse une toulonnaise, Denise Maunier, votre mère ; de leur union naîtra un garçon qui décèdera malheureusement l’année suivante. Quatre autres enfants suivront : ils sont présents ici tous les quatre, entourés de plusieurs de ses petits enfants.
Août 1944, survient le débarquement sur le littoral varois des troupes françaises du Maréchal de Lattre de Tassigny appuyées par des troupes américaines et une marine française recomposée. Ce sera l’occasion pour le jeune enseigne qui ronge son frein de s’illustrer. Il se porte au devant du 3ème escadron de spahis algériens de reconnaissance, commandé par le colonel Bonjour, qui venant de Cogolin marche sur Toulon ; le 20 août, se présentant comme chef d’un groupe de résistance du Beausset, il offre spontanément ses services et notamment sa parfaite connaissance des environs de la ville ; le 21 il part avec une patrouille en avant garde d’un détachement blindé de reconnaissance et à 10.00h entre dans les faubourgs de la ville avec les premiers éléments ; le commandement d’une patrouille mixte blindée motorisée de reconnaissance lui est alors confié, avec laquelle il participe les 21, 22 et 23 aux combats de la Libération de Toulon ; le 23 dans la soirée, il est grièvement blessé au cours d’un engagement , place de le Liberté où « il arrivait en tête pour faire flotter le drapeau Français sur la subdivision de Toulon »ainsi que le mentionne la proposition de citation à l’ordre de l’Armée que rédigera le colonel Bonjour.
Dans son rapport, celui-ci avait écrit précédemment : « Pendant ces trois journées de combat, Wassilieff s’est dépensé sans compter faisant l’admiration de tous par sa brillante conduite au feu, son mépris du danger, son entrain et la flamme avec laquelle il servait ». Caractéristique de l’homme, évacué sur l’Oratoire, il dictera son rapport dans l’ambulance à l’infirmière qui l’accompagne.
Pour cette action, il recevra sa deuxième citation, à l’ordre de l’Armée cette fois, et sera nommé chevalier de la Légion d’honneur le 18 novembre 1944, le décret de nomination soulignant en sa fin : « La conduite de ce jeune officier a fait l’admiration de tous pendant la Libération de la Ville » : il a 26 ans.
Rétabli, il est affecté en mars 1945 sur le contre torpilleur « Triomphant » en partance pour l’Indochine comme officier fusilier ; ce sera son premier séjour, et une nouvelle occasion de s’illustrer. Inscrit au tableau d’avancement pour « faits de guerre », promu Lieutenant de Vaisseau le 7 juillet 1945, il est nommé le 19 novembre chef d’un détachement mis en appui du 1/6éme R.I.C.lors des opérations de reprise de Nha-Trang, sur la côte d’Annam. Le 3 décembre 1945 lors de l’attaque des positions Viet-minh de Chomoï, il se porte volontaire pour prendre le commandement d’un véhicule blindé utilisé en appui de l’Infanterie. Blessé il tiendra jusqu’à l’enlèvement de la position et recevra pour cette action sa troisième citation, la seconde avec palme, dans laquelle est à nouveau mentionné. « Officier d’un courage en tous points remarquable et d’une rare audace… » Il sera également nommé, récompense peut-être encore plus précieuse « Première classe d’honneur des Troupes Coloniales ».
De retour en France il est affecté au Centre de Formation maritime de Mimizan puis, en août 1948, sur le croiseur « Gloire ». Il se porte volontaire pour un deuxième séjour en Indochine et en mai 1950 est nommé au Commandement de la Marine au Cap Saint Jacques, à l’embouchure de la rivière de Saigon. Ce sera notre première véritable rencontre, alors qu’embarqué, sur la « Capucine », mouillée au large, je fus invité avec mon commandant qui était un de ses amis, à dîner chez un officier enthousiaste et brillant causeur, que je me souvenais avoir côtoyé sur les terrains de sport lorsque j’étais à l’Ecole navale – il était grand amateur de football-. Un officier dont j’avais beaucoup entendu parler depuis, car déjà il ne laissait personne indifférent, et qui m’a paru dès lors fidèle à sa réputation.
Cela étant, son activité ne se bornait pas à tenir table, fort bien d’ailleurs, avec une épouse parfaite hôtesse qui avait réussi à le suivre en Indochine, ce qui n’était pas évident à l’époque, et il n’oubliait pas que la guerre, certes moins dure qu’au Tonkin, était à sa porte. C‘est ainsi qu’il participait avec les éléments de l’armée de terre chargée de la défense de la presqu’île à des « coups de main » destinés à desserrer l’étau Viet-minh sur les villages de la côte. Il y gagna une nouvelle citation, croix de guerre des T.O.E.avec étoile d’argent.
En novembre 1951 il prend le commandement du dragueur « Aubépine » qu’il conservera jusqu’en décembre 1952. Une année de patrouilles dans le Golfe du Siam, le long des côtes de l’Annam, sur le Bassac, pour contrôler la batellerie et le trafic d’armes en provenance de la Thaïlande, mener des incursions dans les villages de la côte et dans les bras du Mékong, assurer contre les mines télécommandées de la rive, la protection des navires remontant la rivière de Saigon - notamment celle du porte-avions « Arromanches » et du Pasteur, paquebot transformé en transport de troupes – et, occasionnellement, soutenir un poste français menacé ou harcelé : mission ingrate mais essentielle, souvent dure, car pour ces petits bâtiments la mer n’était pas toujours clémente. Non exempte de risque non plus : son second, mon camarade de promotion Faucon trouvera la mort le 11 décembre 1951, lors d’un coup de main sur l’île de Culao-tron.
Mais des épisodes plus pittoresques aussi, tel ce Noël 1950 à l’île Tagne. La Légion avait établi sur cette petite île de la côte d’Annam, un pénitencier pour les légionnaires condamnés pour faits graves et son commandant, un solide chef de bataillon d’Europe centrale, avait invité les officiers des deux dragueurs présents sur rade ce jour là, l’ « Aubépine » et la « Capucine », sur laquelle je venais d’embarquer, à passer la soirée à terre, avec ses officiers.
Diner pittoresque, soirée animée, avec un joyeux convive , remarquablement cultivé, ne parlant plus qu’en alexandrins et chantant des airs d’opéra à l’étonnement bientôt doublé d’admiration de tous les participants !
Enfin, en fin de séjour, et déjà remplacé sur mon dragueur, je fus affecté pour quelques semaines à l’Etat major de la F.A.I.S et placé en « subsistance » sur l’ « Aubépine » ce qui me valut de partager avec son commandant aux repas de midi, un « tête à tête » quotidien rempli d’histoires de marine, racontées avec sa verve habituelle. Je ne parlerai pas des silences, avec lui il n’y en avait jamais.
Plus sérieusement, les résultats obtenus lors des différentes actions menées avec son bâtiment, notamment dans la région du Bassac, valurent au Lieutenant de vaisseau Wassilieff sa cinquième citation, ainsi que sa nomination au grade de chevalier de l’Ordre national du Vietnam.
Pendant ce séjour un autre trait de son caractère me fut également révélé : sa rapidité à s’enflammer et à s’indigner. Un de ses camarades de promotion, également présent en Indochine, ayant commis dans la Revue maritime de l’époque un article peu flatteur pour les officiers de la flotte russe lors de la bataille de Tsou-Shima, il le provoqua séance tenante en duel et il fallut l’intervention du Commandant de la marine à Saigon pour séparer les combattants.
De retour en Métropole, promu capitaine de corvette le 1er octobre 1953, il est affecté à la BAN Hyères en qualité de chef du Service intérieur : ce sera son premier contact avec l’Aéronautique navale.
En septembre 1955 il est affecté en Algérie, à l’Etat major de la Marine à Bône puis, de retour en France, il est désigné en novembre 1956 pour le Bois-Belleau » en qualité d’Adjoint Sécurité. Il y fera preuve de toutes ses qualités dans un domaine où la rigueur et le sens de la discipline sont essentiels ce qui ne sera pas sans influence sur la suite de sa carrière.
En attendant, il recevra son second commandement à la mer, en septembre 1958, celui de l’Escorteur rapide « Le Normand » avec lequel il effectuera un certain nombre de patrouilles de surveillance maritime le long des côtes d’Afrique du Nord ( il se distinguera au cours de l’une d’elle en participant de nuit à l’heureux sauvetage d’un jeune officier de sous-marin « oublié » sur la passerelle lors de la plongée de son bâtiment ! ).
Suivra un stage au Centre d’entraînement au cours duquel j’eus, alors que je commandais « La Créole », l’occasion de l’accueillir pour une journée à la mer : il voulait voir la lutte anti sous-marine du côté non plus « du chasseur mais de celui du chassé ». J’avais à l’époque un ingénieur mécanicien qui répondait, réellement lui, au nom de Popoff, surnom que certains lui donnaient mais qu’il n’appréciait guère ; la rencontre fut pittoresque car lorsque je lui présentais « mon » Popoff il crût d’abord à une mauvaise plaisanterie et me regarda d’un air indigné !
Mais, dès le retour à Toulon, il nous invita tous deux à déjeuner à son bord, n’oubliant pas de nous faire admirer la vitrine qui renfermait le maillot qu’un joueur de football célèbre de l’époque - j’ai oublié son nom - lui avait offert ; il en était très fier et cela m’a rappelé sa passion pour ce sport qu’il avait pratiqué assidument comme gardien de but, ce que j’avais pu constater à plusieurs occasions. Jouant dans la même équipe, je lui avais même marqué un but : il avait été long à me le pardonner.
En décembre 1959, il est nommé à l’Etat major du Préfet maritime de la 3ème région, officier des sports et chef du QG. Il le restera deux années, se faisant notamment apprécier pour son sens des relations publiques et de la communication : il était connu de tous les journalistes , spécialistes des questions maritimes, de France et de Navarre ainsi que j’eus l’occasion de le constater lors de la grande Revue navale organisée alors en présence du Général De Gaulle.
Vient ensuite un embarquement sur le croiseur A.A. « Colbert » en septembre 1961 en qualité de Commandant adjoint « Sécurité » au cours duquel il sera promu capitaine de frégate le 1er janvier 1962. Son commandant soulignera une « personnalité complexe » qui semble l’avoir quelque peu dérouté.
Il est affecté ensuite sur le « Foch » en qualité, toujours, d’Adjoint sécurité ; l’amiral porte -avions le note alors « Remarquable sécuritar » en rappelant ses « qualités de guerrier et de chef de guerre » qu’il avait appréciées autrefois. Ses relations dans les milieux artistiques parisiens qu’il fréquentait régulièrement lors de ses permissions, lui permirent d’organiser la venue à bord du porte-avions de ses amis de la Comédie française, dont Jean Piat, qui présentèrent le « Le mariage forcé » de Molière et « Feu la mère de madame » de Feydeau.
On imagine aisément le succès et le prestige qu’il en acquit auprès d’un équipage enthousiaste et d’un Commandant, impressionné. Plus tard, ces mêmes relations lui permettront de faire venir quelques grandes vedettes présider la Nuit « Bleu Marine » à Toulon, et même, une année Brigitte Bardot alors au faîte de sa gloire et de son éclat.
En septembre 1964, il prend le commandement de la 1ère division d’escorteurs rapides et du « Bourguignon » ; l’amiral Patou, notre regretté confrère, peu suspect de tendresse ni de faiblesse, alors commandant l’Escadre de Méditerranée, écrira dans ses notes « Le meilleur commandant de la FER cette année dans tous les domaines, et l’un des meilleurs chefs de division que j’aie jamais vu à la mer en temps de paix » ; l’année suivante il confirmera :« Commandant et chef de division Hors de pair ».
En 1965, il est désigné comme Chef d’Etat major de l’amiral commandant les Forces maritimes en Océan Indien à Diego-Suarez. Il restera dans ces fonctions trois années, sera promu capitaine de vaisseau le 1er janvier 1967 ; l’amiral Burin des Roziers (Al Indien) le notera « Officier de grande valeur, personnalité exceptionnelle, tempérament de chef ».
En 1968, il est nommé chef d’Etat major du Commandant du Centre d’Entrainement de la Flotte, que commande l’amiral Guillou ; deux personnalités fortes et totalement opposées. Ils ne s’entendront pas, ses appréciations s’en ressentiront ; l’amiral, après l’avoir comparé à un personnage de Tolstoï, conclura toutefois « Je le crois apte à se faire tuer en toute connaissance de cause pour l’honneur du pavillon », bel hommage rendu à l’homme. Notons que c’est le même amiral qui, plus tard prononcera lors de ses obsèques un hommage vibrant et chaleureux ; Toulonnais tous deux, la sagesse venant, ils avaient appris à se mieux connaitre, s’entendre et s’apprécier.
L’année suivant nommé Commandeur de la Légion d’Honneur le 29 août 1969, il prend le commandement du CIRAM Toulon, fonction dans laquelle son aisance, son enthousiasme, son sens des relations publiques, son goût pour les contacts humain, une fois encore, feront merveille.
Le 1er septembre 1972, le capitaine de Vaisseau Wassilieff est nommé à la tête du Bataillon des Marins Pompiers de Marseille dont les responsabilités s’étendent désormais aux installations de Fos-sur-Mer, fonction auxquelles ces mêmes qualités ainsi que son autorité naturelle et ses compétences techniques le prédisposaient sans aucun doute. On le voit partout, il se dépense sans compter, toujours en première ligne ; sous son commandement le Bataillon et son commandant font plus que jamais partie intégrante du paysage marseillais. Vivement apprécié tant des autorités militaires que civiles , celles-ci ne tarissant pas d ’éloges sur son action, il recevra ses étoiles de contre amiral le 1er mars 1974 avant d’être admis quelques mois plus tard à faire valoir ses droits à retraite, et placé dans la deuxième section des officiers généraux.
C’est à ce moment là seulement que, libéré de toute fonction officielle, il reprendra enfin contact avec son pays d’origine, à l’occasion d’un voyage de sa promotion en Union soviétique ; il s’y était refusé jusque là. Il y était pourtant bien connu - l’avenir nous le montrera - ayant été appelé à exercer à de nombreuses reprise les fonctions d’officier de liaison lors de visites de bâtiments soviétiques en France.
Une nouvelle carrière va maintenant s’ouvrir à lui. Très tôt, et non sans talent, il avait manifesté, nous l’avons déjà souligné, un goût très vif pour les arts et les lettres ; s’y était ajouté à travers les évènements qu’il avait traversés un profond intérêt pour la réflexion historique. Déjà, lorsqu’il était au CIRAM il avait prononcé un grand nombre de conférences devant les publics les plus divers, anciens marins bien sûr, mais aussi universitaires, étudiants, lycéens, en France et même à l’étranger.
Il a maintenant le temps d’écrire, d’abord des romans à caractère historique inspirés de ses propres expériences et par les évènements qu’il a vécus ou dont il a été témoin ; il deviendra bientôt un auteur à succès :
« Le Pacha », roman largement autobiographique qui parait en 1980, sera couronné par l’Académie Française et la Société des Gens de Lettres.
En 1982, « La bataille des Malouines », recevra une médaille de notre Académie et rencontrera un large succès public.
Viendront deux ouvrages qui paraitront en 1986 et porteront plus particulièrement la marque de ses réflexions. Profondément marqué par la guerre, par cette fracture qui s’était produite dans notre marine et qui fut longue à se résorber, par la mauvaise image qui avait été la sienne auprès du public, il va s’attacher à analyser les évènements, à rechercher les responsabilités des acteurs tant français qu’anglo-saxons de ces années douloureuses, et entreprendra une sorte de croisade de réhabilitation, non exempte parfois d’excès tant est grand son souci de convaincre.
Ce seront successivement :
Le tonnerre des armes, « sorte de saga des situations et des drames vécus par les marins de 1939 à1945, à la mer, dans les airs et à terre », écrira notre regretté confrère le Médecin général Adrien Carré qui sera plus tard son parrain lors de sa réception dans notre Compagnie,
puis
Un pavillon sans tache, sous-titré de l’armistice au sabordage, la vérité, fruit de recherches minutieuses dans les archives et de recueil de témoignages tant en France qu’à l’étranger, ouvrage qui lui valut le Prix de l’Amicale des Anciens élèves de l’Ecole navale.
En même temps, il participe à de nombreuses émissions radiophoniques ou télévisées, publie de nombreux articles dans de nombreux journaux et revues (Cols bleus, Historia, la Revue maritime, le Journal de la Marine marchande …), il prononce de nombreuses conférences portant sur les sujets les plus variés, techniques – liés à son expérience d’ancien « sécuritar », politiques, historiques… sa verve est inépuisable, sa parole aisée et il s’engage chaque fois totalement.
Cette activité de marin - historien, dévoué corps et âme à cette Marine qu’il défend avec vigueur, la qualité reconnue de ses ouvrages, le conduiront tout naturellement à postuler pour un fauteuil de notre Académie et il sera élu membre correspondant dans la section Histoire, lettres et arts, le 22 février 1989, parrainé par le docteur Carré et l’amiral Leenhart.
La même année, le 21 avril, il est élevé à la dignité de Grand Officier dans l‘Ordre National du Mérite.
Il continue de publier :
Un sous-marin sans équipage en 1989 qui recevra le prix de l’ACORAM
La guerre des soldats inconnus, en 1991.
Continuant son œuvre de réhabilitation il publiera en 1993 un article très documenté, De l’Armistice de juin 1940 au Sabordage de la Flotte, ce que nous savons aujourd’hui, dans lequel il règle ses comptes avec Churchill et Roosevelt qu’il déteste, article virulent, qui sera le thème de nombreuses conférences mais aussi l’objet de parfois vives controverses.
Résidant à Toulon, travaillant énormément, voyageant beaucoup, sa vue le trahissant, on le voit très peu aux séances de notre Académie et il ne se manifeste guère aux évènements marquants de l’année académique. De plus dans une section Histoire, lettres et arts assez largement ouverte, les candidatures sont nombreuses et diverses. Aussi, lorsqu’il se présentera à un siège de membre titulaire, sa candidature ne sera pas retenue au profit de celle d’un candidat sensiblement plus jeune. Il en ressentira une profonde amertume, amertume que l’on retrouve dans sa lettre de demande d’admission à l’honorariat datée du 8 mai 2001, mais, suprême élégance, rédigée en vers.
Quelques mois auparavant, la mort d’une épouse chérie, qui avait partagé tous les moments de son existence, les bons et les moins bons, l’avait profondément marqué. Ses dernières années seront assombries par une vue de plus en plus déficiente, une ouïe non moins fatiguée, ses contacts avec l’extérieur deviennent difficiles. Il ne sort plus guère de sa « Datcha » entouré de tous ses souvenirs et soutenu par une famille particulièrement unie autour de lui. Heureusement ses facultés intellectuelles resteront intactes jusqu’au dernier jour ainsi qu’en témoignent ses échanges avec le père André Borelly, archiprêtre orthodoxe de Marseille.
Je me suis efforcé, non sans maladresse, de tracer un portrait aussi vivant et vrai que possible, d’Alexandre Wassilieff, votre père, de cerner sa personnalité ; sans doute le fait de l’avoir rencontré à différents moments de sa carrière et dirai-je en « témoin neutre » m’a-t-il permis d’appréhender sa personnalité mieux que d’autres.
Il est certain qu’il ne laissait personne indifférent, que son caractère, son exubérance, son franc parler, voire dans certains cas sa familiarité naturelle et immédiate déroutaient. Il aimait se mettre en valeur, être apprécié, aimé - qui pourrait le lui reprocher ?- Ceux qu’il déroutait évoquaient ses ascendances, son atavisme slave, ceux-ci bien réels certes.
L’amiral Guillou avec lequel il entretenait désormais des relations fréquentes et devenues amicales, et qui le connaissait sans doute mieux que quiconque, le reconnaitra dans l’éloge qu’il prononcera lors des obsèques « certains jours il donnait l’impression d’être resté parfaitement russe, d’autres d’être devenu presque français ».
D’autres le jugeaient enthousiaste mais aussi désinvolte, impulsif et parfois superficiel ; enthousiaste, impulsif, certes, il l’était, et l’a montré en de nombreuses circonstances et notamment très jeune, au combat, car il était d’un courage à toute épreuve,- sur ce point les témoignages sont unanimes - désinvolte peut-être, superficiel, certainement pas.
A ceux qui le jugeaient coléreux et parfois brutal, l’amiral Guillou toujours lui, répond également « L’ascendant de Sacha, sur ses subordonnés était une réalité ; il faisait preuve d’une extrême bonté naturelle, même s’il lui arrivait, de façon délibérée ou non, d’affecter une attitude ou une autorité de boyard qui explose au risque de déconcerter, mais dont personne de raisonnable, n’était à la longue dupe ».
J’y ajouterai ce témoignage émouvant d’un de ses anciens marins qui ayant appris le décès de son ancien Pacha de l’Aubépine - il avait alors 18 ans - en parcourant Internet, s’adresse à ses enfants qu’il ne connait pas : « C’est peu dire que votre grand père a été un bon Pacha…L’équipage tout entier lui vouait une grande admiration et, je peux le dire, de l’affection… Pour lui nous nous serions jetés au feu. Nous l’avons fait parfois… Bien sûr il avait, comme on dit, son caractère : abrupt souvent, gueulard quelquefois. Mais quel Pacha ! De la classe et du panache. De la générosité. ». J’ajouterai, quel bel hommage !
Alexandre Wassilieff était effectivement un homme complexe, et ce que l’on peut dire assurément c’est que, malgré son année et demie d’Ecole Navale, il n’entrait pas dans le moule un peu conventionnel de l’officier de marine de sa génération.
Mais, ce que l’on ne pourra lui ôter ce fut sa passion pour la Marine, une Marine qu’il veut « sans tâche » et qu’il défendra jusqu’à son dernier souffle, dans ses derniers écrits et dans les conférences enflammées qu’il prononçait devant les auditoires les plus variés et toujours conquis.
C’est cet Homme qui nous a quittés le dimanche 6 avril 2008. Ses funérailles furent célébrées avec faste dans l’église Saint Louis de Toulon le 10 avril, selon le rite orthodoxe auquel il était resté fidèle, célébrées par l’archiprêtre de Marseille, assisté du pope de Nice, ainsi que de l’archiprêtre de la cathédrale de Toulon.
Le père Borelly qui l’avait accompagné dans ses dernières années prononça une émouvante homélie, qui éclaire d’un jour particulier sa personnalité, et fut suivie de l’éloge funèbre que lui rendit l’amiral Guillou.
Enfin, attention sans doute rarissime, une équipe de la télévision russe s’était déplacée pour retransmettre en direct la cérémonie.
Voilà le souvenir que tous nous conserverons de l’amiral Alexandre Wassilieff, Sacha pour ses amis, un homme chaleureux et profondément humain, qui fut et reste un grand serviteur de la Marine, profondément attaché à ce pays qui l’avait accueilli tout en conservant la nostalgie d’un pays qu’il avait perdu puis retrouvé.
Jacques Chatelle, Contre amiral (2S)
Membre de l’Académie de Marine