Les Russes à Clichy par M. Igor OROBCHENKO

La communauté russe à Clichy-la-Garenne

Article mis en ligne le 24 juin 2012
dernière modification le 19 avril 2014

par tchouki



2) Vera ; 4) Madame Adamson ; 5) Père Constantin ; 7) Nicolas Youmatoff
11) Madame Staroselskaïa ; 12) Marina ; 13) Hélène Vallier
16) Jacques Maskarachvili ; 18) Odile Versois ; 21) Alexis ; 22) Olga

Préface



Avant de décrire la communauté russe à Clichy-la-Garenne, nous allons remonter le temps pour situer brièvement le contexte général et les causes de l’émigration russe.
Pour cela, retournons en Russie, en guerre contre les Empires Centraux. Cette terrible guerre déclarée le 1er août 1914 allait modifier la carte de l’Europe et amener un changement de régime radical en Russie. Pourtant, au début, dans un bel élan, la Russie tsariste ne lésinant pas sur son effort de guerre, attaqua en Prusse Orientale dès le quatorzième jour de sa mobilisation, contraignant les Allemands à retirer de nombreuses divisions du front occidental, ce qui a contribué à la victoire de la Marne et au coup d’arrêt donné aux troupes allemandes en France. Les années 1915 et 1916 virent successivement sur le front de l’Est des victoires et des défaites, le matériel militaire et les munitions manquant de plus en plus.
Sur le plan politique l’opposition parlementaire critiquait ouvertement la carence gouvernementale et réclamait le changement. Les interventions malheureuses du tsar et de sa famille (Raspoutine) amenaient une désagrégation de la monarchie en général et la remise en cause de l’autorité de Nicolas II. On le présentait comme un tyran, mais en réalité c’était un homme de timidité maladive cachée sous un masque raidi par son éducation à la cour, un homme réservé, courtois, désirant une vie paisible loin de la société mondaine au sein de sa famine, il aima la Russie de loin... d’une façon abstraite. La maladie de son fils compta beaucoup plus que les affaires de l’État.


Déjà, en 1915, les révolutionnaires russes hors du pays avaient participé, en Suisse, à un congrès international dont l’objectif était « Lutte pour la paix immédiate ».
La Russie était représentée par Oulianov (Lénine), Apfelbaum (Zinoviev), Bronstein (Trotski) et d’autres.

Nicolas II répondit : « II n’y a pas de sacrifice que je refuserais pour le bien du pays » et signa l’acte d’abdication.
Rapidement, le 8 mars 1917, le tsar et sa famille furent arrêtés. Transférés ensuite à Tobolsk en Sibérie puis à Ekaterinbourg, ils furent sauvagement assassinés le 17 juillet 1918 sur ordre de Sverdlov, et, à travers lui, de Lénine.
Un gouvernement provisoire prit la suite présidé par le prince Lvov avec Kerensky comme ministre de la guerre.
La situation au front devint catastrophique, les soviets (conseils) furent créés dans les régiments, les officiers étant soumis aux ordres de ces derniers.
La révolution s’accéléra par l’arrivée de Lénine venant de Suisse dans un wagon plombé avec d’autres dirigeants bolcheviks. Les Allemands les laissèrent passer au travers de l’Allemagne et même leur donnèrent des subsides (on parle de 90 millions de marks-or) pour développer la révolution en Russie. De Lénine on peut maintenant dire que c’était un théoricien très intelligent mais sans aucun sens moral ni une miette d’humanité. Il fut l’instigateur d’un régime qui ne s’appuyait que sur la terreur et créateur du Goulag.
Le gouvernement provisoire, bientôt moribond, présidé par Kerenski, ne dura pas longtemps. Le 24 octobre 1917 (7 novembre), le soulèvement bolchevik à Petrograd, après de multiples péripéties dont la prise du Palais d’hiver, donna tout le pouvoir aux Soviets.
Le début de l’opposition à la montée des rouges se situe déjà en mai 1917 lorsque le général Alexeiev créa l’Union des officiers. Echappant à la mort, il arriva sur le Don auprès du général Kalenine et, le 2 novembre, il commença à former avec les Cosaques et quelques soldats et officiers, l’Armée des volontaires.
Bientôt, il fut rejoint par d’autres chefs historiques du mouvement blanc, les généraux Denikine et Kornilov et d’autres officiers supérieurs. Se rassemblaient sous leur bannière, des étudiants, la jeunesse non mobilisée, les soldats, les cosaques, etc...
En 1918, de nombreuses unités, dispersées en Russie ou sur le front effondré rejoignirent, souvent se frayant le passage avec leurs armes, l’armée blanche, notamment les cosaques du Kouban avec le général Wrangel.
Sur tout le pourtour de la Russie, la résistance aux rouges s’organisait. Au nord, à Arkhangelsk, un détachement britannique avait débarqué. Les Anglais aidèrent le général Miller (kidnappé à Paris) en le nommant gouverneur de la région. Les Britanniques rembarquèrent soudain en septembre 1919, mais Miller tiendra jusqu’en janvier 1920 avec une poignée d’hommes face à des forces rouges considérables.
En Sibérie, le général Koltchak prit les armes contre les bolcheviks. En Estonie, Lituanie, Pologne, il y eut des forces blanches. Mais c’est en Russie du sud, en Ukraine, que les armées blanches eurent le plus de développement. Les offensives nombreuses dont l’une en 1919 menaça Moscou, s’achevèrent après de sanglants combats par un repli généralisé vers la Mer Noire.
Après l’arrêt de l’aide des Anglais et des Français, les forces blanches furent contraintes à céder. Le général Denikine se démit de ses fonctions et nomma le général Wrangel comme successeur. En fait, il ne restait plus que la Crimée entre les mains des blancs.
Après une résistance héroïque qui dura 7 mois, il fut contraint de quitter le dernier lambeau du territoire russe le 2 novembre 1920, avec une armada de 150 bateaux transportant ses fidèles compagnons et leurs familles.
Des masses de gens fuirent la Russie soviétique, par le nord vers la Finlande, vers les Etats baltes, vers la Pologne et la Roumanie, et enfin par la Crimée. En Sibérie, les gens fuirent vers la Mandchourie et la Chine en 1921-22, et le transit de beaucoup d’entre eux se fit par Constantinople.
On n’a pas de données chiffrées du nombre d’émigrants. Je dirais qu’en plusieurs vagues, ils furent plus de 3 millions !

L’exil

La population des gens qui quittaient la Russie était très diversifiée. Beaucoup de militaires ayant combattu dans l’armée blanche et les familles lorsqu’elles avaient pu rejoindre la zone non bolchevik, des fonctionnaires de l’ancien régime, des intellectuels avocats, diplomates, médecins, ingénieurs mais aussi des paysans, des ouvriers, des commerçants, etc..
Toute cette population se retrouva principalement après les camps de regroupement dans certaines villes, au début : Varsovie, Prague, Belgrade, Sofia, Constantinople, Kharbin en Mandchourie. La flotte russe composée d’une trentaine de navires arriva à Bizerte. Ensuite, une partie des gens se concentra à Prague, à Berlin, à Paris. D’autres partirent beaucoup plus loin, Amérique, Australie.
La France, traditionnel pays d’accueil, accepta un grand nombre d’émigrés, d’abord utilisés par contrat aux travaux de déminage et de reconstruction dans l’est du pays (on sortait de la guerre 1914/18), puis comme des travailleurs dans les usines.
La région parisienne avait besoin d’une main-d’œuvre consciencieuse et courageuse et de nombreuses usines, notamment Renault, ouvrirent leurs portes à ces gens pleins de bonne volonté, mais ne possédant pas la langue.
C’est ainsi que des colonies russes s’établirent à proximité de leurs lieux de travail, à Boulogne-Billancourt, dans le XVe arrondissement de Paris, dans la banlieue sud et à Clichy-la-Garenne. Le travail en usine ne convenait pas vraiment aux anciens intellectuels et, petit à petit, avec leurs progrès dans le maniement de la langue, chacun chercha à s’intégrer dans son ancien métier et dans la société française. Mais beaucoup, parmi la grande masse de jeunes sans compétences particulières, s’orientèrent vers le métier de chauffeur de taxi. Ce travail, chez des loueurs de voitures, offrait une certaine liberté dans les horaires qui était souhaitée pour permettre des « retrouvailles » au sein des familles d’abord, puis au sein d’associations et clubs ensuite. De plus, les fêtes orthodoxes ne coïncidant pas avec les catholiques et auxquelles les Russes tiennent fermement, nécessitaient quelque possibilité d’organiser son temps.
De nombreux garages de taxi se trouvant à Levallois et à Clichy, une « colonie » russe s’installa dans la commune.
Il faut insister sur le besoin des Russes de se regrouper. D’une part il y avait la nostalgie du pays, d’autre part la dureté de la vie, car, à cette époque, il n’y avait pas de structures d’accueil, ni allocation d’aucune sorte, ni Sécurité sociale. D’où une pauvreté réelle dans la majorité des familles où l’on comptait les piécettes de monnaie pour faire manger la famille. Tout cela engendrait des périodes de mélancolie et pour la contrecarrer, il fallait se réunir pour être ensemble, se rappeler les souvenirs d’autrefois, partager un modeste repas ou encore sacrifier la paye d’une quinzaine pour faire la fête à la russe. Ah ! l’âme slave, vous connaissez ?
Quoique l’émigration russe se composait d’une large proportion d’intellectuels qui avaient eu des ressources de Russie, la plupart des gens avaient tout perdu du fait de la guerre civile et pillés par les autochtones orientaux profitant de la situation. Ainsi l’on vit en rade de Constantinople des petits bateaux locaux chargés de victuailles faire le tour des bateaux russes en quarantaine, proposant aux émigrants affamés des pains, des fruits, contre des bijoux que certains possédaient encore.
Quand les Russes sont poussés par le besoin, ils sont entreprenants. Arrivés dans le pays d’accueil, de multiples associations virent le jour : militaires, religieuses, artistiques, éducatives, caritatives !
Les anciens combattants se regroupèrent par armes, école ou campagnes... On ouvrit des écoles du jeudi, on bâtit des églises, de nombreux journaux de différentes tendances firent leur apparition, etc...
A Clichy-la-Garenne, où plus de 60 familles se retrouvèrent aux environs de 1927, elles s’organisèrent en communauté. En 1941, l’on recensait 332 Russes émigrés.
Une paroisse orthodoxe du nom de « Paroisse orthodoxe russe de la Sainte-Trinité » fut créée, un magasin ouvrit ses portes, une association se mit à vivre activement.

LA PAROISSE de la SAINTE TRINITE à Clichy

L’ancienne église et la première (parce que il y en a eu deux), était située au 15 rue KLOCK, dans des locaux prêtés par la communauté protestante (Pasteur Maroger) je crois.
En guise de locaux c’était un entrepôt ou même une ancienne grange, en bois, qui formaient un U avec une cour couverte de gravier et avec des platanes dont un descendant existe encore à ce jour.
Dans le bâtiment du fond, il y avait un vaste local, où nos anciens aménagèrent 1’ église. Au début et ce sont mes premiers souvenirs, l’iconostase était tendu en toile de sacs avec deux icônes accrochées une à droite et l’autre à gauche comme il se doit. Mais peu de temps après apparut un bel iconostase en bois, tout ruisselant de beauté et d’ors qui avait été réalisé per M. Fédoroff.
A l’intérieur de l’église des fenêtres aménagées à droite et à gauche laissant passer des rayons du soleil coté est. Petit enfant, je les regardais longuement pendent l’office et cette association de chants liturgiques, d’odeurs d’encens et les rayons du soleil forment une image indélébile de mon enfance.
Le premier prêtre de Clichy était le père Constantin Zambrigitsky d’origine polonaise me semble-t-il. Il avait une grande barbe toute noire qui nous chatouillait le visage quand il nous embrassait. Sa chasuble immense sentait l’encens. Il aimait jouer avec les enfants, nombreux à cette époque, il nous chahutait, nous caressait la tête, nous parlait de Dieu.
Quelquefois il venait à la maison déjeuner ou bien prendre une tasse de thé, et chaque fois j’avais droit à un petit paquet de bonbons...
Il a eu une triste fin, mais nous verrons cela plus tard.


Chaque année, à tour de rôle, les diverses paroisses russes de la région parisienne organisaient des congrès d’inspiration religieuse.
Par exemple :
Celui des 13 et 14 Avril 1935, avait au programme une dizaine d’exposés faits par divers orateurs, sur la religion, la situation en Russie, les informations sur les autres "îlots" russes en exil. Des Multos Annos et Te Deum solennels concluaient le congrès chantés par la chorale de Clichy.
Parmi les "Personnes importantes" je peux citer un autre prêtre, Olympe, (Palmine), sibérien d’origine. Après avoir vécu à Clichy il a été envoyé à la paroisse de Bordeaux. Devenu archiprêtre, il officiait plus tard à la cathédrale russe de la rue Daru.
On peut citer bien d’autres noms :
M. Pokrowski Wsévolod, ancien procureur en Russie, son épouse qui jouait du piano et sa fille Véra qui aimait s’amuser comme toutes les filles avec de délicieuses poupées habillées par sa mère de costumes russes.
Monsieur Babtchenok très bon musicien avait une oreille très fine. Il dirigeait la chorale de l’église, qui eut lors de concerts spirituels à Clichy et ailleurs son heure de gloire.

L’ÉCOLE PAROISSIALE

L’école du Jeudi se trouvait dans les dépendances de l’église rue KLOCK. Les enseignements consistaient en catéchèse, en histoire de la Russie, sa géographie puis bien sûr, l’écriture russe. L’histoire Sainte était professée par le Père Constantin, la géographie par Mme Adrianova, la langue russe par Mme Staroselskaïa.
Plusieurs autres familles constituaient le noyau dur des paroissiens : Les Adamson, Koroleff, Dobrelège-Protzikoff, Shiraï, Pakhel, Motchline, Dolsky, le comte Ignatieff qui avait un frère resté en Russie soviétique, les Youmatoff, mère Zina avec ses enfants Nicolas, Tania et Alexis. Leur père était un officier de l’armée française.
Et encore Madame Makarievitch, Anna Stépanovna, les Ivanoff Ekatérina Alexandrovna et Nicolas Petrovitch qui après de longues années dans la fonction de lecteur dans l’église, devint prêtre dans les années 1946/47.
II y avait aussi les Orobchenko, Anatole Ivanovitch et Nina Nikolaievna et leur fils Igor et les grands parents Nicolas et Catherine Ivanoff.
Ensuite citons Les Baïdaroff-Poliakoff et d’autres paroissiens dont on a perdu les noms.

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La récréation était, comme pour tous les gosses le moment le plus amusant, le plus joyeux. Mais il fallait compter avec les anciens militaires - ils étaient nombreux, pour nous faire marcher au pas, obéir aux commandements tourner, courir... je trouvais cela tout-à-fait idiot quoique cela était bon pour la santé et nous faisait faire un peu de gymnastique. Enfin, on trouvait bien sûr du temps pour jouer avec les copains !
Un jour on nous arrangea méticuleusement pour prendre une photo... C’était rare à l’époque. Installés sur un banc, les petits devant, les plus grands derrière, nous attendîmes fort longtemps le petit oiseau qui devait sortir d’une grande boite toute noire, montée sur de longs pieds. Un bonhomme barbu s’agitait derrière et cachait sa tête sous un tissu noir. J’avais un peu peur mais à voir les grandes personnes qui rigolaient, je me rassurais.
Qui voit-on sur cette photo ?


De gauche à droite :
Liouba et Nadia Dobrolège, Lyda Adamsson, Irina Motchalina, Katia Koroleva, Kolia Pekhel puis sur la rangée du bas, Sonia et Olga Shiraï, une inconnue, Xénia Chmidoff, Igor Orobchenko, Kolia Youmatoff et Tania Klimenko.


Sur cette autre photo, toujours prise dans la cour de l’église rue Klock, on voit un autre groupe d’enfants des paroissiens, de gauche à droite : Kira Pechkova, Liouba Dobrolège, Lida Adamson, Vova Pokrovsky, Nadia Dobrolège, Irina Motchalina, Katia Koroleva, L. Khanelidzé, Igor Kostienko et xx

Voici une photo des Paroissiens vers 1935 prise toujours dans la cour du patronage, rue Klock.


Ligne d’en haut : Mme Pekhel, Sonia Chmidoff, Nina Orobchenko, Félitchkine (un grand plaisantin) et Anatole Orobchenko.
Ligne d’en bas : Mme Lena dite "ogourtchik" Xénia Chmidoff, M. Lomakin, Igor Orobchenko, Kolia Youmatoff et M. Pokrovsky.

LES FETES PAROISSIALES

Je me souviens des fêtes paroissiales, moments joyeux pour les gamins que nous étions...
Pour les fêtes de Noël et de Pâques, l’association organisait des spectacles dans la salle attenante à l’église. Une scène surélevée avait été installée et un piano apparut. Des talents existaient dans la colonie et aussi à l’extérieur de Clichy ce qui permettait de monter de fort imposants programmes...
Les dames avaient souvent des qualités dans le chant. Que ce soit des œuvres de compositeurs classiques ou bien des chants folkloriques plusieurs personnes montaient sur la scène et accompagnées par d’excellents pianistes nous charmaient de leurs voix mélodieuses... sauf une dont je tairai le nom qui avait un tel trémolo dans la voix que je dis à ma grand’mère qui était assise à coté de moi "Est ça que l’on appelle un tremblement de terre" ?
Les pièces de Tchékhov s’interprétaient avec plusieurs personnages en costumes d’époque (!) les acteurs préparant soigneusement leurs rôles longtemps à l’avance. Les jeunes et les très jeunes donnaient dans les récitations... Lors d’une fête, je me retrouvai sur la scène, la langue collée au palais, la lumière dans les yeux qui m’empêchait de voir la salle, les jambes en plomb. Soudain je pris conscience que l’on me criait "vas’ y"… La récitation, je l’avais bien apprise et je la savais par cœur. Je me mis à la réciter, probablement pour moi tout seul, car j’entendis venir de la salle "plus fort, plus fort", alors je recommençai tout à voix forte et eus ma part d’applaudissements.
Un peu plus tard, on vendit des tickets de loterie, il y avait un antique vase à gagner, les paroissiens s’agglutinaient pour voir cet objet imposant qui semblait attirer bien des convoitises. Cela durait un bon moment, le temps de vendre tous les billets, et pendant ce temps il y avait une distribution de gâteries pour les enfants ; on avait droit à un sachet en résille où il y avait des bonbons, une mini tablette de chocolat et aussi une MANDARINE ! À l’époque c’était rare et je crois que celle-ci fut la première de mon existence.
Avant le clou du spectacle que nous attendions il y avait un autre numéro, saynète interprétée par un certain ICARE qui avec brio jouait cette petite pièce appelée "Demianova Oukha" II était très drôle.
Mais le clou du programme était durant de longues années la prestation de la famille Baïdaroff/Poliakoff.
Le père, chanteur à l’opéra de XX, avait une bonne basse et interprétait avec bonheur les romances russes bien connues. Mais il avait un handicap, de l’asthme je crois, ce qui lui rendait difficile d’aller jusqu’au bout du morceau sans reprendre son souffle. La maman Baïdaroff chantait un peu mais surtout dansait très bien avec ses filles, Olga, Tania (Odile), Militza et Marina.
Leur numéro terminait presque toujours le spectacle, par des danses folkloriques et des chants de l’éternelle Russie, ce qui soulevait l’enthousiasme ou l’émotion des spectateurs.
Marina a reçu, à l’initiative du Maire, la médaille d’or de la ville de Clichy en décembre 1990. J’étais convié mais elle ne me reconnut pas...
Durant ces fêtes paroissiales, il y avait comme cela se doit, un buffet servant à régaler les spectateurs venus de Clichy et des environs qui aimaient assister à ces réjouissances.
Au cours du spectacle, on faisait de nombreux entractes pour favoriser l’activité du buffet, ce qui conduisait qu’en fin de soirée, à force de porter des toasts aux uns puis aux autres, les spectateurs manifestaient une joie délirante pour chaque numéro du programme, leurs applaudissements frénétiques faisaient trembler les murs de la vénérable bâtisse. A la fin du spectacle, les départs se faisait attendre longuement car il avait toujours des choses à se raconter et c’est en titubant que les gens rentraient chez eux...
Ah, c’était l’époque ou il n’y avait pas de contrôles d’alcoolémie pour les chauffeurs de taxi ! Ajoutons que les russes tiennent bien l’alcool, même échauffés il n’y avait pas d’accidents connus.

La deuxième église russe de Clichy


Une dizaine d’années plus tard, vers 1938, les protestants demandèrent de retrouver leurs locaux et prièrent gentiment les russes de trouver un autre endroit pour leur église. Ce fut l’angoisse et des activités frénétiques... les réunions de l’association des paroissiens, les recherches d’un nouvel endroit, les fonds à réunir !...
Un an s’écoula jusqu’à ce que quelqu’un trouve à Clichy un local vacant situé au 13 rue du Docteur Emile Roux. Cet endroit n’était pas très engageant.... dans une arrière cour d’un vieil immeuble vétuste, tout noir.
Pour accéder au domaine russe il fallait passer sous un porche sale et sombre. En fonction de nos possibilités financières, l’achat consisterait en trois vieilles bâtisses disposées en U.
A gauche, un bâtiment d’un étage un peu plus protégé, au milieu un bâtiment de liaison et à droite un autre de plain-pied un peu plus long où l’on décida d’installer l’église. Entre eux une minuscule courette, le tout séparé de l’immeuble vétusté par un mur avec une porte à deux battants disloqués.
L’achat fut effectué, l’argent réuni, je ne sais comment et la colonie se mit au travail…
On ne sait d’où apparurent des planches, des clous, des pinceaux accompagnant d’imposants pots de peinture, des tissus, du tapis-brosse ... et des bras qui se mirent au travail.
En peu de temps, le hangar fut transformé en église avec un iconostase raccourci car il venait de la précédente église de la rue Klock qui était bien plus spacieuse. Des tapis couvrirent le sol après le blanchiment des murs et la création d’un faux plafond.
Puis ce fut le temps de disposer au mieux les icônes le long des deux murs longitudinaux et installer les lampadas. A cette époque il ne pouvait s’agir que de vraies lampadas, petit verre de couleur suspendu par trois chaînes contenant de l’huile et un flotteur portant la mèche que l’on allumait au moment des offices. J’aimais regarder les flammes vacillantes qui jetaient des éclats dorés sur les visages austères des saints...quelquefois j’avais l’impression qu’ils s’animaient et bougeaient.
En entrant, à droite fut placée l’immense icône offerte par un vieil ami de mon grand-père Monsieur Gambrikeli (marchand arménien). C’était une icône en profondeur avec une vitre devant. Le fond représentait une scène biblique avec une "riza" entourant les personnages peints. Cette "riza" était en argent rehaussé d’or. Devant elle pendait une lampada en argent travaillé qui éclairait l’intérieur. Il avait été dit que cette icône valait une vraie fortune par la qualité du travail et les matériaux employés.
Elle représentait le dernier don fait par M. Gambrikeli qui consacra énormément d’efforts et d’argent pour la paroisse avant son départ pour lé Brésil où partaient ses enfants.

De l’autre coté du bâtiment qui abrita l’église, il y avait, au delà d’une minuscule cour, une construction sur un étage qui devait avoir servi de bureau aux occupants précédents. Au rez-de-chaussée, les russes aménagèrent une salle en abattant quelques cloisons, salle destinée aux réunions et aux fêtes de la paroisse. Sur l’étage on installa une bibliothèque constituée par des livres offerts par les paroissiens, et un petit logement qui fut occupé par le prêtre qui succéda au père Constantin, R.P. Choumkine.


Sur cette photographie, faite dans la minuscule cour de l’église rue Docteur Roux, on peut identifier : M. Gambrikeli, père Zambrigitsky comte Ignatieff, M. Lomakin et Nicolas Youmatoff.

LA GUERRE EST ARRIVEE 1939-1945

Pendant la guerre, la communauté russe vivait péniblement comme d’ailleurs toute la France. L’alimentation manquait et la faim tenaillait les estomacs.
Du fait qu’il s’agissait d’une communauté religieuse, les autorités délivraient des tickets d’alimentation spéciaux, ce qui permettait de faire quelques repas.
Un recensement eut lieu à Clichy en 1941. Les Russes venaient en deuxième position après les Italiens, soit 330 plus 3 Ukrainiens et 4 Géorgiens.
Nos bonnes ménagères s’organisèrent pour créer quelque chose genre cantine, et les dimanches après la liturgie célébrée par le père Constantin les paroissiens allaient se restaurer. Je me souviens de plusieurs repas pris avec mes parents, presque toutes les fois il nous était servi avec des kotelettes faites en majeure partie de pain et un peu de viande, grillées au saindoux douteux, mais comme c’était bon quand on a faim !
Ce qui était curieux, c’est qu’une vodka au goût bizarre apparaissait de temps en temps sur les tables, toutefois à raison d’un petit verre seulement.
L’ambiance était lugubre, on grelottait de froid, une petite loupiote éclairait faiblement le local. La discussion s’animait un peu lorsque les adultes commentaient les nouvelles diffusées par les journaux.
Après la fin de la guerre, arriva une période critique pour la colonie russe de Clichy.
Une "amnistie" fut décrétée par Staline pour les émigrés russes blancs, un Métropolite soviétique arriva à Paris où il rencontra le Métropolite Euloge qui dirigeait l’église russe occidentale, et durant un certain moment il a semblé que l’émigration fût conquise par l’idée d’un retour à la mère patrie.
Des "garanties" étaient données pour que chacun, retournant en Russie soviétique trouve un travail à sa mesure et un lieu de séjour suivant les possibilités gouvernementales.
On sait maintenant ce qu’il advint des personnes et familles qui crurent... Ils finirent très rapidement leurs jours dans le Goulag, incarcérés sous un quelconque prétexte.
Parmi les " retournants " il y avait Mme Olga Ignatieff avec son frère Serge et le père Constantin Zambrigitsky dans la courette. Ce dernier était un chaud partisan du retour. Il finit dit-on là-bas dramatiquement… en prison où il mit fin à ses jours.
Les restants ne reçurent qu’une seule lettre de tous ceux qui partirent, elle émanait justement des Ignatieff où ceux-ci ne tarissaient pas d’éloges sur la situation...


A Clichy, cette amnistie eut pour conséquence de casser en deux la communauté. Il y avait ceux (les Retournants) qui y crurent et les autres (les Restants) plus méfiants. Des disputes surgirent, on se traita de bolcheviks ou d’attardés. .Le père Constantin Zambrigitsky fut enthousiaste (il avait propension à cela) pour le départ.
Dès ce moment, une bonne moitié des paroissiens quitta l’église et l’association. Avant de partir, le père Constantin s’arrangea à transférer l’église de Clichy au Patriarcat le Moscou, représenté en France par l’église de la rue Pétel.
II exhorta ses paroissiens à prendre le passeport soviétique vendre leurs affaires et retourner en Union Soviétique.
Environ 40 % des familles le suivirent.
La rupture fut consommée avec le départ des "retournants", l’église perdit une bonne partie de sa chorale et des éléments actifs de la communauté, un nouveau prêtre fut nommé, père Choumkine un homme très bon, mais n’ayant pas le don de la parole pour essayer de clarifier ce qui pouvait l’être.
Nous sûmes beaucoup plus tard, par des rumeurs, le sort du père Constantin ; il serait mort, pendu dans une prison du goulag.
Après le départ des "retournants" la communauté russe s’étiola progressivement...
Dans les années 1950/1960 l’on voyait encore du monde lors des liturgies du Dimanche et même à Pâques il y avait encore une cinquantaine de personnes pour l’office de la nuit. Une procession s’organisait, elle sortait de l’église faisait un tour sur elle-même dans la minuscule courette, le père Georges Choumkine annonçait "le Christ est ressuscité" et on revenait dans 1’ église.
La chorale, encore dirigée au début de cette période par M. Babtchenok, chef de chorale confirmé, chantait fort convenablement. Mais ensuite lorsqu’il quitta la paroisse, les choses changèrent, et ce fut de plus en plus affligeant. La direction fut reprise par M. Romanoff, vers 1965 mais les chanteurs s’étaient dispersés... Les chants devinrent dissonants ce qui influa sur le moral des derniers fidèles.
Dans les années 1968, le père Choumkine décéda et fut remplacé, par le père André Mitnikoff, homme chaleureux, sérieux, appliqué dans l’exercice de sa fonction. Il eut à souffrir de la désaffection des paroissiens qui réfutaient l’appartenance de l’église au patriarcat de Moscou et se plaignaient de la chorale.
Le dernier "staroste" était M. Pissarenko et le bibliothécaire Anatole Orobchenko.
Peu de temps après 1970, le père André, constatant l’absence quasi totale des paroissiens aux offices, demanda à partir dans la maison de retraite russe de Sainte-Geneviève-des- Bois où on avait besoin d’un prêtre à demeure. Atteint d’une grave maladie il y est décédé deux ans après.
Le patriarcat de Moscou affecta en 1972 à l’église de Clichy, l’Higoumène Cyrille, non russe...
Puis l’église ferma, on ne sait pas ce que devinrent ses biens, on n’eut plus de nouvelles sinon que la bibliothèque fut vendue au poids à un marchand de papier.
La boutique russe de M. Artëm ferma, car il partit dans une maison de retraite russe qu’il n’apprécia pas du tout. Il mourut rapidement
M. Sementchenko, officier des cosaques du Kouban, fut le dernier militaire combattant décoré, à disparaître à l’âge de 92 ans en 1987.

L’épicerie Russe d’Artëm

Clichois Russes (1930-1950 environ)


ayant vécu ou faisant partie de l’association paroissiale russe

Père Constantin Zambrigitsky, prêtre de l’église jusqu’en 1946
Père Olympe Palmine
Père Choumkine
Père André Mitnikoff, dernier prêtre de l’église, rue Docteur-Roux
Pokrovski, ancien procureur, président association
Babtchenok, chef de chorale
Ivanoff Nicolas, lecteur à l’église, puis prêtre dans d’autres paroisses et son épouse Catherine
Ignatieff (Comte) et son épouse Olga
Kouharenko Georges et son épouse Nina
Tchestiakoff Alexandre
Motchalina
Dolsky
Babitchev Marie
Starosielskaïa et sa fille Aga
Adrianov Ivan, Chef d’état-major des armées du Don et son épouse Lioudmilla, professeur de géographie dans l’école paroissiale
Koroleva, professeur d’histoire russe dans l’école paroissiale
Orobchenko Anatole, épouse Nina et fils Igor
Youmatoff mère Zina, enfants Nicolas, Tania, Alexis
Dobrolège Galina, filles Nadia et Liouba, Dimitri (Mitia)
Bondarenko
Boldyreff Paul
Baïdaroff-Poliakoff et leurs filles Olga, Hélène, Marina et Odile
Maskarachvili Yacha (Jacques), Ciné club « Oiseau de feu »
Pavlov, général
Chamraiéff Vladimir, officier de l’armée française
Sementchenko Pierre, officier des Cosaques du Kouban
Fédoroff, peintre des icônes de l’église
Kourianoff
Modeste
Adamson et fille Lydia
Gambrikiélli
Kremarewski / Platonov Wladimir
Ivaniénko
Romanoff Alexandre et son épouse
Chliakhov
Golovine Artëm (Arthur), épicier russe
Lentz Alexis
Zenkovskaïa, infirmière
Boukharenko Léonid, né à Marioupol
Apalkoff Serge, né à Marioupol et son épouse Sonia
Kitidji Louka (?), grec
Gontcharov
Karnischev, professeur de russe
Orlov Hélène
Bogdanovitch Michel
Josefovitch
Pekhel et fils Nicolas
Lomakin
Ouidinoff
Kalantar (?), boutique
Niko, livreur de produits russes
Gromatovitch/Plévako
Kholodnikoff
Schiraï, Olga et Sonia
Zaboudski
Litwiak et enfants Marie et Nicolas
Makarèvitch Agna Stepanovna
Chmidoff Xénia
Kossolapoff
Pissarenko, dernier staroste de la paroisse
Ivanoff Stéphan et sa femme Marie, employés jadis à l’ambassade russe de Paris
Maltséva Véra,
Makar, peintre




PROGRAMME du Congrès 1935


Organisé par la Paroisse russe de Clichy avec la participation de la paroisse d’Asnières et de l’Association Chrétienne en France.

Un Congrès à Clichy en 1938

Programme

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