Monsieur Gérard Gorokhoff est bien connu, pour sa contribution à un livre de réference sur la Garde impériale et pour l’expertise qu’il apporte lors des ventes de militaria russe à l’Hôtel-Drouot. Régulièrement présent à nos diners annuels du "6 Novembre", il a accepté, ce 21 janvier, de partager avec nous sa connaissance du marché des objets russes. Qu’il en soit ici remercié.
Pour comprendre l’état du marché des objets russes aujourd’hui, il faut d’abord distinguer 3 périodes clés : celle d’avant la révolution, celle de l’ère communiste et celle de l’après communisme.
Tout simplement parce que les pièces ayant de la valeur actuellement sont celles qui datent d’avant la Révolution. Pour chiffrer le nombre d’objets de l’époque tsariste, je veux parler bien sûr des pièces ayant beaucoup de valeur, il faut savoir que la production n’était en réalité pas énorme ; parlons des célèbres œufs de Fabergé, ils ont été fabriqués à partir de 1886 et étaient offerts par les Empereurs à l’occasion des fêtes de Pâques ou de Noël aux Impératrices. Ce qui nous amène approximativement à une cinquantaine de pièces.
Au moment de la Révolution, on a assisté à un pillage systématique non seulement de tout ce qui représentait l’institution mais aussi de tous les biens privés, contrairement à ce qui s’est passé en France ; les maisons de la noblesse ont été systématiquement pillées, les officiers systématiquement poursuivis, spoliés de leurs biens et fusillés. Certains de ces objets réapparaissent parfois sur le marché.
Pendant l’époque stalinienne, le gouvernement russe désireux de faire rentrer des devises, a mis en vente de très belles pièces, comme par exemple la pendule exécutée par Fabergé pour le 25e anniversaire de mariage d’Alexandre III et de Maria Feodorovna. C’est pendant cette période, de 1923 à 1929, que pratiquement tous les objets qui se trouvent actuellement hors de Russie, et cela se chiffre en centaines de tonnes d’orfèvrerie, ont pu sortir.
Sans rentrer dans la polémique, on peut s’étonner, dans la mesure où c’est le gouvernement russe de l’époque qui les avait bradés, de la légitimité de la demande du gouvernement actuel qui réclame ces pièces de très grande valeur en « incitant » de généreux « sponsors » à les acquérir pour les ramener dans la Mère Patrie ! Ce fut par exemple le cas pour les œufs de Fabergé de la collection Forbes.
Cela étant, pour aborder le sujet de la valeur actuelle de ces objets, on remarque qu’en l’espace d’une dizaine d’années avec l’enrichissement d’une certaine classe en Russie, la grande majorité des acheteurs est russe, que ceux-ci ont des moyens financiers considérables, et donc que la plupart des ventes atteignent aujourd’hui des niveaux hors de notre portée ! Il faut bien comprendre que les 4/5e des chefs-d’œuvre de l’art russe ont été nationalisés, qu’ils se trouvent aujourd’hui dans les musées et que le manque de pièces disponibles sur le marché intérieur, oblige les nouveaux collectionneurs russes à se tourner vers l’étranger.
Pour vous donner une idée de l’évolution des prix en l’espace de 6 ans : en 2000, la vente annuelle d’art russe chez Sotheby’s avait rapporté presque 6 millions d’euros, fin novembre 2006 (avant une importante vente) on en était à 82,8 millions, et les proportions sont similaires chez les autres marchands.
On peut parfois voir sur le marché interne russe des objets pillés pendant la Révolution, (ils ne sont que rarement sortis du pays et on suppose qu’ils sont encore dans les familles qui les ont récupérés) mais attention aux copies fabriquées à partir d’éléments originaux ou même entièrement contrefaites et qui depuis la flambée des prix envahissent le marché.
Pour terminer, on signalera quelques experts et salles de vente : Christie’s et Sotheby’s ( Londres, New-York), Stockholms Auktionsverk ( Suède) . En France Tajan, Coutau- Bégarie, Lombrail- Teucquam, organisent plusieurs fois par an des ventes spécialisées.