Elizabeth Jetter-Osteletsky, membre de l’AAOMIR, nous envoie ce texte écrit en mémoire de Anastassia Alexandrovna Chirinskaia-Manstein.
Elizabeth Jetter-Osteletsky, membre de l’AAOMIR, nous envoie ce texte écrit en mémoire de Anastassia Alexandrovna Chirinskaia-Manstein.
"Anastasia Manstein-Chririnsky a été rappelée à Dieu le 21 décembre 2009 dans sa 98eme année.
Anastasia Alexandrovna a terminé son parcours terrestre en laissant un précieux témoignage, celui du destin de la flotte de la Mer Noire car son propre destin a croisé l’Histoire avec un grand H.
Bien malgré elle, à l’âge de huit ans, Anastasia a été associée à l’une des plus grandes tragédie du vingtième siècle : à la révolution russe et à l’effondrement de l’Empire, à la disparition de la Marine impériale russe.
Elle disait souvent « Tous ceux qui ont vécu l’exode retrouvent en l’évoquant le même sentiment d’incrédulité et de désespoir »
La petite fille contrainte à l’exil n’oubliera jamais sa Patrie.
Loin de toute politique, séparée brutalement de la Russie, survivante d’un exode tragique, elle reste le témoin d’un monde disparu que beaucoup cherchent à redécouvrir dans la Russie nouvelle.
Elle en fait le récit dans son livre « La dernière escale » publié en l’an 2000, reconstituant un monde presque oublié.
Elle y décrit la vie des marins et de leurs familles sur les bateaux de l’Escadre russe et sa propre vie à Bizerte après une rude traversée de Sébastopol à Bizerte.
Le 28 octobre 1920 à 4 heures du matin, la flotte de la Mer Noire reçoit l’ordre de l’évacuation.
Commence alors un long et périlleux voyage en passant par les ports de Crimée.
Après une étape à Constantinople, 34 bâtiments se dirigent vers Bizerte, petit port de pêche, mais aussi base navale française en Tunisie, à l’époque colonie française.
Les navires rebaptisés « Escadre russe » resteront pour la plupart ancrés pendant quatre ans à l’entrée du canal de Bizerte. Parmi eux était le « Saint Georges le Victorieux » sur lequel Anastasia a passé une grande partie de son enfance avec d’autres familles de marins.
Pendant ces quatre années, tous vivaient dans l’espoir d’un hypothétique retour en Russie mais « l’année 1924 fut celle de toutes les séparations » : après la reconnaissance le l’URSS par la France, le 29 octobre à 17h25 le pavillon à la Croix de Saint André fut amené à tout jamais (voir annexe).
La Russie n’existait plus.
La Marine impériale russe créée par Pierre le Grand venait de cesser également son existence.
L’Ecole navale russe à Bizerte qui continuait malgré toutes les difficultés à former des cadets fut fermée le 25 mai 1925.
Les combattants de la première guerre mondiale, ceux de Port Arthur et ceux de Tsushima partaient pour l’inconnu.
L’exil devenait définitif. Pour les exilés dispersés aux quatre coins du monde, le nom de Bizerte restera pour toujours synonyme de « la dernière escale ».
Dans son livre, Anastasia Chirinsky, d’une écriture sobre et de manière touchante parle de la douleur de l’exil, des difficultés du quotidien sans tomber dans le piège des émotions et de la nostalgie.
Il n’y a pas d’apitoiement non plus, pourtant « rien de ce qui était humain ne lui était étranger ».
En toile de fond, il y a la vie pendant quatre ans sur les navires de l’Escadre russe, autrefois flotte de la Mer Noire, fleuron de la Marine impériale russe.
Si elle a pu s’adapter à la pire des épreuves, la perte de la patrie tant aimée, des proches, des biens et accepter de vivre dans le dénuement et les privations, c’est grâce aux valeurs transmises par son éducation, à savoir : fidélité à l’Orthodoxie, amour de la Russie, attachement à la culture russe et respect des traditions glorieuses de la Marine transmises de génération en génération.
La première de ces traditions étant de servir Dieu et la Patrie.
Elle y raconte aussi son voyage inattendu en Russie en juillet 1990 et le retour provisoire sur les lieux de son enfance privilégiée.
Tout lien avec son pays d’origine avait été rompu pendant soixante dix ans et son retour avait été jugé longtemps improbable.
Anastasia était une merveilleuse conteuse et nombreux étaient ceux qui venaient l’écouter : jeunes marins russe, diplomates, historiens, anciens élèves à qui elle avait enseigné les mathématiques (parmi eux, un fidèle visiteur, l’actuel maire de Paris, Monsieur Bertrand Delanoë).
Évoquant sa longue vie, presque un siècle d’existence, Anastasia a confié à ses proches que si Dieu lui avait permis de vivre aussi longtemps en gardant une excellente mémoire, c’était pour transmettre son témoignage aux jeunes générations.
Elle disait « je n’ai rien regretté et je n’ai jamais perdu courage » et elle ajoutait « Beaucoup de personnes en Russie recherchent leur passé. A nous, émigrés qui en avons hérité de nos parents, de les aider. »
Et le présent montre qu’Anastasia a eu raison de ne jamais céder au désespoir. Elle a pu en 1990 retourner en Russie et recevoir en 1997 un passeport russe des mains de l’Ambassadeur de la Fédération de Russie à Tunis.
L’Église « Alexandre Nevsky » de Bizerte, longtemps fermée et menacée d’expropriation, est bien vivante grâce aux efforts d’Anastasia. Elle est desservie maintenant régulièrement par le prêtre russe de Tunis, le Père Dimitri.
Et enfin Anastasia a pu voir le drapeau de Saint André flotter à nouveau sur l’Amirauté à Saint Petersbourg et sur les navires militaires russes.
Annexe :
Drapeau de Saint André (Etendard traditionnel de la Marine impériale russe)
C’est dans l’archipel des Solovki, sur l’ile de Zaiatski, que fut bâtie en 1702 sur ordre de Pierre le Grand une chapelle du nom de « l’Apôtre Saint André le premier appelé ». Il devient le protecteur de la marine russe et les vaisseaux militaires russes navigueront sous pavillon portant la Croix de Saint André. L’étendard de la Flotte russe, blanc à croix bleue, fut béni dans cette chapelle. Le blanc symbolise la Foi et la Croix, la fidélité."